Budget de l’éducation : les entourloupes de Jean-Michel Blanquer -- Chronique

Source: Chronique de Philippe Watrelot, Alternatives économiques – 2018/09/20.

Alors que les enseignants s’apprêtaient à préparer leur cartable en cette fin de week-end, le Figaro publiait en avant première, dimanche 16 septembre, des extraits d’une interview du ministre de l’Education nationale. Celui-ci y annonçait que son ministère allait supprimer 1 800 postes dans le cadre de la loi de finances 2019. Le lendemain matin, il se rendait à la matinale de France Inter non pas pour annoncer sa démission (ça ne marche pas avec tout le monde…), mais pour justifier cet arbitrage.

Des signes avant-coureurs pouvaient laisser présager d’une telle décision. La semaine précédente, plusieurs échos dans la presse avaient filtré sur des réductions de postes plus importantes. En général, c’est souvent des fuites du cabinet pour influencer les discussions en cours. Comme les prévisions de croissance sont moins importantes que prévu et qu’on est en période d’arbitrages pour le budget, c’était effectivement prévisible.

Concert de pipeau

L’intervention sur France Inter était assez habile. Jean-Michel Blanquer a mis en avant le pouvoir d’achat des enseignants et avec quelques artifices de communication a essayé de minimiser et de relativiser la réduction des postes. Dans une impeccable logique de communication, d’autres membres du gouvernement et responsables parlementaires ont repris les éléments de langage. Le sommet a été atteint par le secrétaire d’Etat en charge de la Fonction publique et des Collectivités locales, Olivier Dussopt.

Celui-ci dans une interview donnée au journal Les Echos, y affirmait « l’éducation, comme les autres ministères, va mettre à profit des réorganisations pour se réformer. Ça ne veut pas dire que nous allons nécessairement supprimer des postes d’enseignants. » Et dans une autre interview, à France Info cette fois-ci, il allait même jusqu’à affirmer que le gouvernement tenait compte de la « réduction des effectifs dans le secondaire ». Il a depuis reconnu que c’était une grosse bêtise, car la lecture des prévisions d’effectifs disponibles sur le site du ministère montre que les effectifs d’élèves vont continuer à monter jusqu’en 2022 !

Fidèles aux postes

Revenons d’abord sur la question des postes. Un des éléments de langage est de relativiser l’importance de cette baisse. L’Education nationale, c’est 1 132 710 personnes et un peu plus de 800 000 enseignants. 1 800 postes supprimés, c’est à peine l’épaisseur du trait. Pas la peine de raconter des « carabistouilles »…

Sauf que c’est symboliquement, et donc politiquement, important ! Jusque-là, le budget de l’Education nationale faisait partie des domaines préservés. Le quinquennat précédent avait même fait des (re)créations de postes un des marqueurs de sa politique. Ce n’est plus le cas. Et le signal politique est fâcheux.

Autre élément de langage : parallèlement aux suppressions dans le secondaire, il y aurait des créations de postes dans le primaire. Si on enlève 500 postes qu’on irait trouver dans les services administratifs, ce ne serait « que » 1 400 postes supprimés dans le secondaire. Mais comme à peu près 1 900 postes seront créés ou redéployés dans le primaire, notamment pour assumer le dédoublement en CP-CE1, ce sera en fait beaucoup plus dans le secondaire, de l’ordre de 2 600 postes supprimés au collège et au lycée (avec 40 000 élèves en plus).

On voit mal comment on pourrait maintenir les taux d’encadrement à ces conditions. En termes plus clairs, les classes de lycée vont être encore plus chargées. A moins que la réforme du lycée qui se profile ne soit l’astuce pour « mutualiser » des cours et lisser les taux d’encadrement en supprimant les séries. Ce n’est pas une supposition paranoïaque, c’est le ministre qui le dit très clairement lors de son interview à France Inter.

Le ministre rajoutait qu’il faisait un choix politique en décidant de rééquilibrer la dépense publique vers le primaire, qui est particulièrement faible en France par rapport à d’autres pays. Ce souhait peut sembler légitime. Mais il est plus difficile à faire passer quand on déshabille Pierre pour habiller Paul. C’est toujours plus facile d’accepter qu’on donne un montant plus important à son voisin quand le sien ne diminue pas.

Et puis on notera aussi que cette politique attentiste consiste à faire le gros dos en attendant le reflux démographique après le mini-baby-boom des années 2000. Une posture très comparable à celle choisie pour l’enseignement supérieur, où l’on choisit d’organiser et de manipuler la pénurie plutôt que de créer les places suffisantes.

Un budget saupoudré de poudre de perlimpinpin

« Oui, mais le budget est en hausse de 850 millions. » C’est le deuxième artifice communicationnel utilisé par le ministre et celui-ci est à double détente. Pour comprendre la première astuce, faisons d’abord un peu de calcul de proportion et de variation (un prof de SES, ça a des réflexes). 850 millions. Dit comme ça, ça semble beaucoup ! Mais le budget du ministère de l’Education nationale est de 50,6 milliards d’euros. Je vous laisse faire le premier calcul de proportion… Le deuxième porte sur la variation. On présente le budget comme étant en hausse. Un calcul rapide nous montre que c’est de l’ordre de 1,7 % d’augmentation. Tiens, c’est justement le taux d’inflation prévu pour l’année prochaine ! Autrement dit, en volume (et pas en valeur) ça n’augmente pas ! Et même, compte tenu des salaires (c’est l’essentiel du budget de l’Education nationale) et du glissement vieillesse technicité (GVT), on peut dire que ça baisse. Savoir distinguer valeur et volume, mettre en évidence les « effets de structure », c’est ce qu’on apprend en cours de SES. C’est peut-être pour ça que cet enseignement est si attaqué !

La deuxième astuce est assez simple, elle aussi. On dit que le budget « augmente », mais on y met plus de choses dedans. Selon Les Echos, 213 millions devront couvrir une nouvelle compétence, celle des AVS. Résultat : la hausse réelle serait plutôt de 637 millions (850 – 213). Sans compter que l’entourloupe peut être encore plus grande s’il se confirme qu’on intègre dans le budget tout ou partie des dépenses du futur service national universel… Ce serait un coût de 2 milliards par an.

Travailler plus pour gagner… autant

Un tel budget va raviver les tensions déjà vives dans les établissements, et en particulier dans le secondaire. Mais pour faire passer la pilule amère, on martèle qu’on veut augmenter le pouvoir d’achat des enseignants en omettant de dire que c’est en leur demandant de faire 2 heures supplémentaires (et comment ça se passerait pour le primaire ?). C’est le retour du « travailler plus pour gagner plus » sarkozyste… Mais gagner plus par rapport à quand ? Car il ne faut pas oublier que le pouvoir d’achat s’est dégradé avec le gel du point d’indice et la suspension du protocole mis en place avec la ministre précédente.

On peut aussi se demander si les enseignants sont prêts à faire ces heures sup, alors que le temps de travail des enseignants est déjà élevé. On notera qu’un rapport qui a fuité durant l’été, le rapport « CAP 22 », préconisait dans une première version d’augmenter « l’obligation réglementaire de service », autrement dit le temps de présence obligatoire devant élèves. Prochaine étape ?

L’autre conséquence, c’est l’augmentation du nombre de contractuels dans l’Education nationale. Le « mammouth » est un très gros consommateur d’emplois précaires : plus de 20 %. Ce chiffre risque encore d’augmenter dans les années à venir et peut même augurer d’une remise en cause du statut de fonctionnaire, si on tient toujours compte des préconisations du rapport cité.

Ecole de la méfiance

Si on continue à faire des prévisions, voire des prophéties, on peut craindre pour l’année suivante que les réductions de postes se poursuivent. Où chercher ? La solution semble être dans la réforme de la formation initiale, dont Jean-Michel Blanquer a dit qu’elle serait son prochain chantier. Actuellement, les enseignants stagiaires sont à mi-temps en formation et l’autre mi-temps en classe. Ce sont 22 000 postes budgétaires de fonctionnaires et donc 11 000 équivalents temps plein (ETP) qu’on peut récupérer en réformant la formation et la place du concours. L’admissibilité se ferait en licence et l’admission et la validation en M2. Durant ce temps, les candidats (qui ne seraient plus « stagiaires ») seraient à la fois en formation et en classe mais payés comme des apprentis (les chiffres de 800 euros en M1 et de 1 200 euros en M2 circulent déjà).

Ce ne sont que des rumeurs pour l’instant, mais qui semblent solides et qui s’appuient sur plusieurs rapports plus ou moins téléguidés par le ministre. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

« L’école de la confiance » est le leitmotiv des innombrables interventions médiatiques de Jean-Michel Blanquer. Mais comment construire la confiance quand on voit que les décisions sont avant tout dictées par un impératif budgétaire et comptable ? Le ministre, l’admet lui-même au détour d’une phrase : la réforme du lycée est dictée avant tout par un objectif de « rationalisation ». En d’autres termes : faire des économies. Ce n’est pas forcément mal en soi, mais encore faudrait-il qu’on aille vers le mieux en matière d’efficacité. Or, les décisions prises et les textes publiés (là encore, pendant l’été) montrent surtout qu’on s’achemine vers un dispositif encore plus complexe que l’actuel et vers une usine à gaz en matière d’organisation. Mais la verticalité autoritaire technocratique du ministre et le refus de la négociation empêchent tout retour critique.

Et encore une fois, le système continuera à avancer tant bien que mal. Grâce au sens du service public et au dévouement des personnels de l’Education nationale. Des fonctionnaires mal payés et avec moins de moyens et qui seront peut-être plus méfiants sur les effets de com’ de leur ministre… le plus macronien parmi les macroniens.

Philippe Watrelot, ancien président du CRAP-Cahiers Pédagogiques


DU MÊME AUTEUR

 

CHRONIQUE

Education : est-ce que « ça va mieux » ?