Réforme de la justice des mineurs: ordonnance de 1945 & création d’un code de justice pénale des mineurs

Source: Libération

 

ANALYSE

Belloubet dégaine une réforme de la justice des mineurs

Par Julie Brafman — 22 novembre 2018 à 20:16

A la surprise générale, la garde des Sceaux a annoncé mercredi qu’elle voulait réformer l’ordonnance de 1945 pour accélérer la réponse pénale en la matière.

Le projet de loi de réforme de la justice, actuellement examiné devant l’Assemblée nationale, était déjà très vaste - ou «fourre-tout», selon ses détracteurs -, touchant à la fois aux procédures civile et pénale, mais aussi à la carte judiciaire ou encore à l’échelle des peines. Mais la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, ne compte pas s’arrêter là. Mercredi, elle a créé la surprise en annonçant dans l’hémicycle, lors des questions au gouvernement : «[L’exécutif] sollicitera du Parlement, dans le cadre de la loi pour la réforme de la justice, une habilitation à réformer l’ordonnance de 1945 par la création d’un code de justice pénale des mineurs.»

«Mille-feuille»

La ministre de la Justice a indiqué qu’elle procédera par ordonnance : «Ce travail sera mené en toute transparence avec vous au prochain semestre.» Dans l’amendement déposé après l’article 52, il est précisé que l’ordonnance entrera en vigueur dans un délai d’un an, afin de «mener le nécessaire débat parlementaire».

Si l’annonce et le procédé sont totalement inattendus, sur le fond, c’est une ambition déjà portée par plusieurs locataires de la place Vendôme. Dernièrement, Christiane Taubira et Jean-Jacques Urvoas ont, tour à tour, voulu s’attaquer à ce qui est qualifié de «mille-feuille législatif», sans y aboutir. Texte sur «l’enfance délinquante», l’ordonnance de 1945 - qui pose comme grands principes l’atténuation de la responsabilité en fonction de l’âge, la recherche de réponses éducatives et le recours à des juridictions spécialisées - a en effet connu de nombreuses réformes successives, depuis les années 80, la rendant de moins en moins lisible.

De l’avis général, une simplification s’impose. Christiane Taubira, portant une promesse de campagne de François Hollande, avait voulu réaffirmer le primat de l’éducatif sur le répressif et supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs créés sous la présidence de Nicolas Sarkozy. «Toute décision prononcée à l’égard d’un mineur vise prioritairement à assurer son relèvement éducatif et à prévenir la récidive», était-il écrit dans le projet de loi qu’elle n’était pas parvenue à imposer à l’exécutif. Si elle a été l’une des rares, à gauche, à se préoccuper à ce point des enfants délinquants, Christiane Taubira a pâti de son image de garde des Sceaux laxiste, sans cesse aiguisée par la droite.

Nicole Belloubet, elle, semble d’ores et déjà soucieuse de se prémunir de pareils griefs. Elle a ainsi déclaré aux députés : «Nous devons apporter des réponses claires et efficaces à la délinquance des mineurs, dans le respect des principes fondamentaux […]. Nous devons juger plus vite les mineurs, pour qu’ils prennent conscience, lorsqu’il y a lieu, de la gravité de leurs actes. Nous devons apporter une réponse plus prompte aux victimes, cela est essentiel. Nous devons aussi prendre des mesures adaptées à chaque profil de jeune délinquant, sans angélisme ni démagogie.»

Urgence

Même si elle reste évasive sur le fond du projet, on perçoit un changement de philosophie. Il n’est plus question du primat de l’éducatif ou de la lutte contre la récidive, mais uniquement de la célérité de la réponse pénale. Dans l’amendement déposé, on retrouve le leitmotiv : «simplifier», «accélérer», «améliorer». Et le changement de paradigme ressort clairement dans le projet de loi justice actuellement examiné : si Taubira estimait que les centres éducatifs fermés n’étaient pas la meilleure réponse à la délinquance des jeunes - ce qui lui avait valu de se retrouver en porte-à-faux avec le président Hollande -, Belloubet prévoit d’en construire vingt supplémentaires.

Cette velléité soudaine de réformer la justice des mineurs en passant par le projet de loi en cours d’examen surprend d’autant plus qu’il y a à peine un mois, Nicole Belloubet semblait bien moins empressée. Au mois d’octobre, juste après l’agression d’une professeure à Créteil par l’un de ses élèves, elle déclarait, concernant l’ordonnance de 1945 : «C’est un sujet sur lequel un certain nombre de parlementaires travaillent. S’il y a une demande qui apparaît, je ne suis pas du tout hostile à l’idée de retravailler sur ce sujet.» Contactée par Libération, la chancellerie justifie ainsi l’urgence : «C’est vraiment pour une question de calendrier parlementaire, il n’y avait aucun espace pendant un long moment.» Et voudrait rassurer : «Ce n’est pas une ratification sèche, il y aura un débat.»

Une mission d’information sur la justice des mineurs pilotée par Jean Terlier (LREM) est en cours à l’Assemblée nationale. Aura-t-elle seulement rendu ses conclusions avant la réforme qui se profile ? «Je m’étonne que cette annonce tombe ainsi, alors même - vous l’avez rappelé - qu’une mission d’information parlementaire est en cours et que des travaux sont menés au Sénat», s’est agacé le député Philippe Gosselin (LR). Dénonçant «un procédé très singulier» qui augure «un dessaisissement complet du Parlement», il voit comme «une erreur» de s’emparer ainsi d’un sujet aussi important. Il ne sera certainement pas le seul à s’en indigner. L’annonce surprise de Belloubet pourrait alimenter la fronde, alors que les professionnels du droit, hostiles au projet de loi depuis qu’il a été dévoilé au mois d’avril, organisaient jeudi une journée de mobilisation.

Julie Brafman