La démocratie pour en finir avec les violences
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Marqué dans leur chair et leur tête, pour Loris, Matteo, Anis et beaucoup trop d’autres, le souvenir d'être aller manifester lors des derniers mouvements lycéens risque de durer. PTSD, suivi psychiatrique, points de suture, contusions multiples... Certains de nos enfants payent leur expression démocratique au prix fort. Et subissent ensuite la double peine de se voir traduits en conseil de discipline voire exclus pour avoir voulu manifester leur opinion.
Depuis quelques mois, la démocratie française est le théâtre d’affrontements physiques très durs, circonscrits mais spectaculaires. Bien entendu, il ne s’agit pas de prendre parti, ni même de considérer a priori que tous les mouvements de colère, des ronds-points aux lycées, sont identiques – même si le gouvernement a tendance à associer jeunes et jaunes dans le même péril. Mais la question soulevée est la même : les conditions du débat démocratique.
Les forces de l’ordre françaises sont aujourd’hui les plus armées des démocraties européennes
Car la démocratie ne se réduit pas aux seules institutions. Elle est aussi un état d’esprit. C’est une conversation entre citoyens, qui choisissent de régler leurs désaccords par les voies du dialogue et de la concertation. En matière de communication, la violence est toujours le signe d’une impasse – quand elle est celle de la foule, elle est signe d’inquiétudes, mais quand elle est celle de l’Etat, elle est inquiétante.
Car le « monopole de la violence » par l’Etat ne peut pas légitimer l’ordre de la force. Il est là pour que personne ne s’en serve. Dans notre culture juridique, et politique, l’agresseur n’a jamais le droit pour lui. Seule la défense est légitime.
Mais qui menace en l’occurrence ? Des comparaisons montrent que les forces de l’ordre françaises sont aujourd’hui les plus armées des démocraties européennes — un « savoir-faire » militaire qui accompagne depuis dix ans la multiplication des blessures d’une gravité inédite, notamment dans le cadre des manifestations.
Dans cet usage démesuré de la force, quel est le message que les institutions, et en particulier ce gouvernement, veulent faire passer à la jeunesse ? « Passe ton bac d’abord » ? Cinquante ans après Mai-68, le pouvoir n’a changé ni de visage ni de message : « sois jeune et tais-toi ». Apprentis-citoyens, vous n’avez pas l’âge d’avoir une opinion sur votre avenir, ni sur les réformes qui vous concernent directement. Pourtant, les lycéens veulent être entendus, par exemple sur la réforme du lycée. Et leurs parents exigent de l’Etat la garantie des conditions d’exercice de ce droit fondamental qu’est l’expression de son opinion, y compris dans la rue. D’autant plus que le gouvernement dédaigne le dialogue avec les représentants des lycéens, comme il se refuse à le faire avec tous les corps intermédiaires.
Manifester devient simplement dangereux
Certes, des « éléments extérieurs » infiltrent les cortèges avec nulle autre intention que de profiter de la foule pour exprimer leur violence et casser. Mais entre une police armée comme pour la guerre urbaine, avec des règles d’engagement brutales,et des manifestants, dans leur immense majorité, démocratiques, l’asymétrie est inacceptable. D’abord parce que manifester devient simplement dangereux. Ensuite parce que cette dissuasion antidémocratique augmente automatiquement la proportion de ceux qui viennent juste en découdre – nourrissant l’escalade de violence, et ses images impressionnantes.
Mais ce gouvernement choisit l’épreuve de force avec une loi « anticasseurs » inquiétante pour les libertés publiques. Pour sortir de cette spirale malsaine, engendrée par l’alternative impossible entre silence institutionnel et manifestations réprimées, nous aimerions suggérer au gouvernement trois mesures. La première est évidente et déjà portée par de nombreuses voix sur la place publique : la désescalade dans l’armement des forces de l’ordre, à commencer par l’interdiction immédiate du LBD et des grenades dites de « désencerclement ».
La deuxième est le vote à 16 ans. Les leçons du Brexit, des défilés lycéens pour le climat en Belgique ou encore la prise de parole de la jeune Suédoise Greta Thunberg montrent bien que dans une société où démocratie et démographie pèsent sur les choix à long terme, donner la parole à la jeunesse permettrait de l’associer légitimement aux décisions qui engagent son avenir : climat, environnement, inégalités, éducation, Europe – autant de sujets sur lesquels on peut être très sérieux quand on a 16 ans.
Ce gouvernement choisit l’épreuve de force avec une loi 'anticasseurs' inquiétante pour les libertés publiques.
La troisième est une réforme du dialogue démocratique dans notre pays. Si l’on considère qu’il n’y a de débat acceptable que dans le strict cadre des institutions, il est plus qu’urgent de s’assurer que celles-ci soient apaisées, représentatives et non-violentes. Pour sortir du face-à-face entre des citoyens isolés et un Etat sourd à la contestation, il est temps de donner aux corps intermédiaires toute leur place dans la construction des politiques publiques. Les fédérations, syndicats, associations, etc., quand ils sont consultés, sont trop souvent confinées à leur expertise, comme si seules l’administration ou les forces politiques avaient la légitimité de la société derrière elles. Plus ou moins écoutés, ils sont rarement pris en compte, et réduits à choisir entre lobbying forcené des décideurs ou rapports de force maladroits par la rue.
Nous pensons qu’il est nécessaire de leur donner un rôle plus central dans le débat et la fabrication de l’intérêt général. Par exemple avec leur introduction dans l’article 4 de la constitution française, comme « concourant à l’expression du suffrage » au côté des « partis et groupements politiques ». En conséquence, ils disposeraient d’un avis suspensif dans les processus législatifs qui les concernent.
Un temps de pause, de réflexion et de consultation pour faire émerger des consensus et casser les logiques d’affrontement et leur violence intrinsèque. L’expression d’une démocratie mature.