Prendre les professeurs des écoles et les journalistes pour des crétins ?
Source: Mediapart – 2019/05/11. Crédit photo: fotolia
Le 7 mai 2019, en conclusion du Grand débat, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, a écrit à tous les professeurs des écoles pour saluer le travail accompli sous sa houlette : « les premiers résultats sont là ».
Pour étayer son affirmation, il s’appuie sur les résultats des évaluations CP et CE1 publiés quelques jours plus tôt[1] par la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, MEN). Dans le domaine de la lecture, un progrès spectaculaire est mis en valeur pour administrer la preuve de son succès : « si, en début de CP, 23 % des élèves n’identifiaient que la moitié des lettres et des sons qui leur étaient soumis, ils ne sont plus que 3,3 % au mois de janvier ».
Les chiffres sont exacts. La DEPP relève que, au mois de septembre 2018, 23 % des élèves ont échoué au test intitulé « Connaitre le nom des lettres et le son qu’elles produisent ». Dans cette épreuve, à dix reprises, les enfants devaient entourer, parmi une suite de cinq lettres imprimées (par exemple « p b d a q »), celle qui correspondait au son qu’ils entendaient au début d’un mot monosyllabique prononcé par le maitre (p. ex. « bulle »). Autrement dit, ils devaient être capables de discriminer un phonème en position initiale (« bulle » commence par le son /b/) puis de sélectionner la lettre correspondant au phonème qu’ils venaient d’isoler. Ceci impliquait de combiner une connaissance de la valeur sonore des lettres (« le B fait Beu ») et une habileté phonologique complexe, généralement hors de portée des enfants à qui on n’a pas encore appris à déchiffrer[2]. Est-ce que, pour autant, cet échec signifie que les élèves sont « en difficulté » comme l’écrit la DEPP ?
Si l’on consulte le décret qui fixe les objectifs de l’école maternelle, on peut constater que les compétences ainsi évaluées ne sont pas au programme. Quoi de plus normal, par conséquent, qu’à la rentrée bon nombre d’élèves ne disposent pas de connaissances qui ne leur ont pas été enseignées ? Et quoi de plus normal, quatre mois plus tard, qu’ils sachent ce qu’on leur a appris ? En d’autres termes, en quoi le résultat de janvier peut-il être considéré comme la preuve que « l’École de France sait être réactive et déterminée pour se placer aux avant-postes des politiques sociales de notre pays », c’est-à-dire de la politique sociale du gouvernement ?
Cet argument, élaboré par les services de communication du ministère et déjà relayé par plusieurs DASEN (« le nombre d’élèves en difficulté baisse de 20 points » osent-ils écrire dans les mails adressés aux écoles), est mensonger. Ne prendrait-on pas les professeurs des écoles (et peut-être aussi les journalistes) pour des crétins ?
Comme nous ne pouvions pas nous résigner à le croire, le ministre ayant fait précéder sa signature de la mention : « Avec toute ma confiance », nous avons entrepris d’examiner de plus près les publications ministérielles.
Dans les deux articles qui suivront nous présenterons le résultat de nos investigations à la recherche des mécanismes de fabrication de « bobards » tels que celui-ci.
- Le premier article sera consacré à l’analyse des résultats des évaluations CP-CE1 et surtout aux projets de remédiation associés.
- Le second dénoncera plusieurs autres petits arrangements avec la réalité, notamment ceux qui discréditent totalement le livre orange (Lecture CP) et font redouter le pire pour les 4 suivants annoncés par la circulaire de rentrée.
En conclusion, un énorme mensonge par omission sera dévoilé.
[1] https://www.education.gouv.fr/cid141364/evaluations-2018-2019-en-cp-et-ce1-des-premiers-resultats-encourageants.html
[2] José Morais (1984/1999), L’art de lire, éditions Odile Jacob.
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