Loi de la confiance? Pas pour les porteurs de handicap
Infos pratiques
Source: https://www.handicapsscolarite.com/article-5-quinquies
Mesdames et Messieurs les élus,
LETTRE OUVERTE
Dans le cadre de l'étude de la loi Blanquer par le Sénat, l'article 5 quinquies a été adopté le 16 mai 2019. Cet article en lien ici comporte entre autres "bizarreries législatives" une petite phrase qui n'aura pas manqué de nous choquer profondément, tant elle porte atteinte aux droits fondamentaux de nos enfants et incite à la discrimination. En point 3, on peut lire :
1° bis (nouveau) Le premier alinéa de l'article L. 112-1 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« La scolarisation en milieu ordinaire est un droit dans la mesure où elle favorise les apprentissages et permet de conforter l'enfant, l'adolescent ou l'adulte handicapé dans ses acquis pédagogiques. »
La locution conjonctive "dans la mesure où" revêt deux sens :
1 - l'expression peut vouloir dire étant donné que, auquel cas il était plus simple de rédiger : “la scolarisation contribue aux apprentissages”, ce qui est d’ailleurs vrai pour tous les enfants, handicap ou pas.
2 - la locution exprime une restriction, une condition : seulement si, à condition que, dès lors que, si tant est que. La signification de la phrase devient donc que si l’école juge la scolarisation ne contribue pas aux apprentissages (réduis aux seuls apprentissages académiques, comme si c’était là la seule mission de l’école), l’enfant en situation de handicap ne bénéficierait plus de son droit d’aller à l’école et pourrait être exclus pour ce motif.
L’objet de l’amendement ne laisse aucun doute sur le sens donné à cette phrase : "Cet amendement vise à rappeler que l’inclusion scolaire n’a de sens que si elle permet à la personne en situation de handicap de progresser dans ses apprentissages et de conforter ses acquis pédagogiques."
Ainsi, la condition pour bénéficier du droit à l’instruction serait de conforter des acquis pédagogiques, mais uniquement pour les élèves en situation de handicap.
Or, nul ne devrait ignorer en France en 2019 que le droit à l'instruction est garanti par le 13ème alinéa du préambule de la constitution et ne souffre d'aucune condition pour être appliqué.
“La nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction (...) ”
Les textes supra-nationaux d'application directe en France nous rappellent d’ailleurs que l’instruction est un droit fondamental dont nul ne peut se voir priver.
En vertu de l’article 55 de la Constitution, la norme internationale acquiert, dès sa publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve d’avoir été régulièrement ratifiée ou approuvée.
1. Le protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales dispose en son article 2 – Droit à l'instruction “Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.“
2. La Cour européenne des droits de l’Homme considère le droit à l’instruction comme un droit fondamental et que l’État ne peut se soustraire aux obligations qui en découlent (CEDH, 25 mars 1993, Costello-Roberts c/Royaume-Uni).
3. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose que « Toute personne a droit à l’éducation » (article 14) [...] ; “Toutes les personnes sont égales en droit” (article 20) [...] ; “Est interdite toute discrimination fondée notamment (...) sur le handicap” (article 21).
4. La Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006 et ratifiée par la France le 18 février 2010 :
Article 2 Définitions
Aux fins de la présente Convention :
[...]
On entend par « discrimination fondée sur le handicap » toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a pour objet ou pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres. La discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable
On entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance
ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ;
[...]
Article 3 Principes généraux
Les principes de la présente Convention sont :
a) Le respect de la dignité intrinsèque, de l’autonomie individuelle, y compris la liberté de faire ses propres choix, et de l’indépendance des personnes ;
b) La non-discrimination ;
c) La participation et l’intégration pleines et effectives à la société ;
d) Le respect de la différence et l’acceptation des personnes handicapées comme faisant partie de la diversité humaine et de l’humanité ;
e) L’égalité des chances;
f) L’accessibilité ;
g) L’égalité entre les hommes et les femmes;
h) Le respect du développement des capacités de l’enfant handicapé et le respect du droit des enfants handicapés à préserver leur identité.
Article 24 Éducation
1. Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à l’éducation. En vue d’assurer l’exercice de ce droit sans discrimination et sur la base de l’égalité des chances, les États Parties font en sorte que le système éducatif pourvoie à l’insertion scolaire à tous les niveaux et offre, tout au long de la vie, des possibilités d’éducation qui visent :
○ Le plein épanouissement du potentiel humain et du sentiment de dignité et d’estime de soi, ainsi que le renforcement du respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la diversité humaine;
○ L’épanouissement de la personnalité des personnes handicapées, de leurs talents et de leur créativité ainsi que de leurs aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités;
○ La participation effective des personnes handicapées à une société libre.
2. Aux fins de l’exercice de ce droit, les États Parties veillent à ce que :
○ Les personnes handicapées ne soient pas exclues, sur le fondement de leur handicap, du système d’enseignement général et à ce que les enfants handicapés ne soient pas exclus, sur le fondement de leur handicap, de l’enseignement primaire gratuit et obligatoire ou de l’enseignement secondaire;
○ Les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire;
○ Il soit procédé à des aménagements raisonnables en fonction des besoins de chacun;
○ Les personnes handicapées bénéficient, au sein du système d’enseignement général, de l’accompagnement nécessaire pour faciliter leur éducation effective;
○ Des mesures d’accompagnement individualisé efficaces soient prises dans des environnements qui optimisent le progrès scolaire et la socialisation,
conformément à l’objectif de pleine intégration.
[...]
5 - La Convention internationale des droits de l'enfant : adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989. où le droit de l’enfant à l’éducation est également affirmé (article 23).
[…] elle est conçue de telle sorte que les enfants handicapés aient effectivement accès à l'éducation […]
En droit interne : nous rappellerons que l’obligation d’instruction s’impose à tous les enfants sans exception par les lois Jules Ferry (1882), sans qu’il n’existe de dérogation à cette obligation pour les enfants en situation de handicap. Cette obligation va se voir avancer à l’âge de 3 ans puis complétée par une obligation de formation entre 16 et 18 ans.
La loi de 1975 - première loi handicap :
“Les enfants et adolescents handicapés sont soumis à l'obligation éducative. Ils satisfont à cette obligation en recevant soit une éducation ordinaire, soit, à défaut, une éducation spéciale, déterminée en fonction des besoins particuliers de chacun d'eux par la commission instituée à l'article 6 ci-après. L'éducation spéciale associe des actions pédagogiques, psychologiques, sociales, médicales et paramédicales ; elle est assurée, soit dans des établissements ordinaires, soit dans des établissements ou par des services spécialisés *lieu*. Elle peut être entreprise avant et poursuivie après l'âge de la scolarité obligatoire. Dans chaque département, il est créé une commission de l'éducation spéciale dont la composition et le fonctionnement sont déterminés par voie réglementaire et qui comprend notamment des personnes qualifiées nommées sur proposition des associations de parents d'élèves et des associations des familles des enfants et adolescents handicapés [...]
La décision de la commission s'impose aux établissements scolaires ordinaires et aux établissements d'éducation spéciale dans la limite de la spécialité au titre de laquelle ils ont été autorisés ou agréés.”
Découle de la constitution les principes généraux du droit à l’éducation suivants :
“L'éducation est la première priorité nationale. Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à l'inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements l'enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l'école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. [. ..]
Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté.” (article L111-1 alinéa 3 et 4 du Code de l’éducation)
“Tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l'action de sa famille, concourt à son éducation. Pour favoriser l'égalité des chances, des dispositions appropriées rendent possible l'accès de chacun, en fonction de ses aptitudes et de ses besoins particuliers, aux différents types ou niveaux de la formation scolaire.” (article L111-2 du Code de l’éducation)
La loi N° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées - afin de garantir l’effectivité de ce droit pour les enfants et jeunes adultes qui présentent un handicap et pour que le service public de l’éducation puisse satisfaire aux obligations qui lui incombent va porter création de l’article L.112-1 du code de l’éducation qui dispose en son premier alinéa que :
“Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés.
La scolarisation en milieu ordinaire est un droit dans la mesure où elle favorise les apprentissages et permet de conforter l'enfant, l'adolescent ou l'adulte handicapé dans ses acquis pédagogiques.” (ajout en rouge par l’amendement dans le cadre de l’examen du projet de loi pour l’école de la confiance porté par M. le Ministre de l’éducation national)
Nous allons rappeler ici que si l’école inclusive est un simple concept, l’égal accès à l’instruction est un droit constitutionnel. Ainsi, une loi sur l’école de la république n’a pas à décréter une confiance qu’il faudrait accorder au service public de l’éducation qui serait autorisé à dénier les droits individuels des enfants en situation de handicap. Le service public de l’éducation ne saurait se prévaloir de choisir les élèves qu’il considère en capacité de tirer profit de l’enseignement qu’il dispense au motif du handicap. Il lui incombe de s’adapter à l’accueil de tous et de différencier ses pédagogies aux besoins éducatifs particuliers de chacun.
Un texte de loi a vocation à fixer des règles qui s’appliquent à tous : il rappelle les droits et les obligations de chacun en matière de scolarité. En aucun cas, le droit commun ne saurait faire de distinction entre élèves valides et élèves handicapés. Pardon pour la comparaison mais il ne viendrait à l’esprit de personne d’écrire dans la loi : “la scolarisation en milieu ordinaire est un droit dans la mesure où elle favorise les apprentissages et permet de conforter l’enfant, l’adolescent ou l’adulte issus de l’immigration, (ou noir, ou homosexuel, ou de sexe féminin), dans ses acquis pédagogiques” !!!
Enfin, s’agissant de compléter le droit commun en matière de scolarité (ou d’y déroger), nous rappellerons là encore que la loi de 2005 fixe un cadre et qu’il convient juste de respecter cette loi promulguée il y a 14 ans déjà pour que l’école puisse être qualifiée d’inclusive.
Article L-112-1 du code de l’éducation après le premier alinéa susmentionné :
“Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l'école ou dans l'un des établissements mentionnés à l'article L. 351-1, le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence.
Dans le cadre de son projet personnalisé, si ses besoins nécessitent qu'il reçoive sa formation au sein de dispositifs adaptés, il peut être inscrit dans une autre école ou un autre établissement mentionné à l'article L. 351-1 par l'autorité administrative compétente, sur proposition de son établissement de référence et avec l'accord de ses parents ou de son représentant légal. Cette inscription n'exclut pas son retour à l'établissement de référence.
[...]
Elle est complétée, en tant que de besoin, par des actions pédagogiques, psychologiques, éducatives, sociales, médicales et paramédicales coordonnées dans le cadre d'un projet personnalisé prévu à l'article L. 112-2.
[...].”
et l’article L112-2 du code de l’éducation :
“Afin que lui soit assuré un parcours de formation adapté, chaque enfant, adolescent ou adulte handicapé a droit à une évaluation de ses compétences, de ses besoins et des mesures mises en oeuvre dans le cadre de ce parcours, selon une périodicité adaptée à sa situation. Cette évaluation est réalisée par l'équipe pluridisciplinaire mentionnée à l'article L. 146-8 du code de l'action sociale et des familles. Les parents ou le représentant légal de l'enfant sont obligatoirement invités à s'exprimer à cette occasion.
En fonction des résultats de l'évaluation, il est proposé à chaque enfant, adolescent ou adulte handicapé, ainsi qu'à sa famille, un parcours de formation qui fait l'objet d'un projet personnalisé de scolarisation assorti des ajustements nécessaires en favorisant, chaque fois que possible, la formation en milieu scolaire ordinaire. Le projet personnalisé de scolarisation constitue un élément du plan de compensation visé à l'article L. 146-8 du code de l'action sociale et des familles. Il propose des modalités de déroulement de la scolarité coordonnées avec les mesures permettant l'accompagnement de celle-ci figurant dans le plan de compensation.”
Le Pial, dont le statut juridique n’est pas défini, s’avère être une complexification inouïe à l’accès aux droits de nos enfants, c’est vouloir faire croire que l’école aurait le plein pouvoir de se substituer aux parents pour faire valoir les droits de leurs enfants. Or, seul les parents - en leur qualité de détenteur de l’autorité parentale peuvent initier une démarche administrative créatrice de droits auprès de la MDPH. Et c’est bien à l’équipe pluridisciplinaire seule compétente en la matière qu’il incombe d’évaluer les besoins (sans qu’il ne soit utile d’attendre sur un Geva-sco remplit par l’école qui n’a aucune compétence dans le domaine du handicap) pour qu’une fois le projet personnalisé de scolarisation établit par la MDPH (droits spéciaux opposables attribués à l’enfant et non à l’école), le Pial attribut en fonction des besoins de l’école et des moyens dont il dispose.
Quant à la mutualisation tout azimut des AVS/AESH pour une gestion de l’accompagnement humain par l’éducation nationale, c’est encore une fois priver l’enfant d’un droit à des aménagements raisonnables, c’est détourner les moyens humains prévus pour nos enfants notifiés par la MDPH au profit d’une école au nom de “l’inclusion”.
Aussi, et sans démontrer davantage à quel point cet article de loi porte atteinte aux libertés fondamentales de nos enfants, nous demandons ici de manière formelle à chacun de vous de prendre la mesure de ce qui se trame avec ce texte étudié à la hâte, sans réelle réflexion sur les conséquences qu’il aurait sur les plus fragiles de nos enfants et leurs familles. Il relève de la responsabilité de chacun d’entre vous de prendre toutes mesures utiles afin de faire barrage à ce texte, y compris saisir le Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité. Un pays comme le nôtre, berceau de la déclaration universelle des droits de l’Homme, ne saurait en 2019 inscrire dans ses lois le droit de discriminer les enfants en situation de handicap. Nous pourrions alors prendre le temps d’une véritable réflexion pour savoir comment réviser la loi du 11 février 2005 pour s’adapter aux mieux aux exigences internationales qui s’imposent à la France en la matière.
En vous remerciant par avance de nous avoir lu, nous vous prions d’agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de nos sentiments dévoués.