Le bien-être de l'enfant dans la Convention internationale des droits de l'enfant
Source: Caisse nationale d'allocations familiales via Cairn
La Convention internationale des droits de l’enfant (Cide) tout entière a pour objet d’assurer le bien-être de l’enfant, entendu au sens large du terme [1]. Le but et l’esprit de ce traité consistent à adapter les droits de l’Homme à l’enfant, en tenant compte de la spécificité de celui-ci, tout en lui conférant des droits particuliers. Le processus d’élaboration de la Cide, qui a abouti à son adoption le 20 novembre 1989, démontre l’effort accompli pour lui conférer un caractère universel. À ce jour, tous les États du monde ont ratifié le traité, à l’exception des États-Unis et de la Somalie. L’article 3-1 de la Convention, qui consacre la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant [2], est notamment destiné à consacrer le bien-être de l’enfant comme valeur primordiale dans tous les États signataires.
La reconnaissance d’un droit de l’enfant à un niveau de vie suffisant
Le bien-être de l’enfant, entendu au sens plus restreint de la satisfaction de ses besoins matériels, est plus précisément l’objet de quelques dispositions de la Cide, ce qui permet d’affirmer que le traité consacre un droit de l’enfant au bien-être, entendu comme le droit pour l’enfant de vivre dans des conditions matérielles nécessaires à son développement. La disposition essentielle de la Convention permettant d’assurer son bien-être est certainement son article 27, selon lequel « les États parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social » [3].
Le développement et l’avenir de l’enfant étant subordonnés à la satisfaction de ses besoins vitaux, lesquels sont particuliers en quantité et en qualité, la reconnaissance d’un droit spécifique de l’enfant à un niveau de vie suffisant était indispensable. L’article 27 érige en droit spécifique de l’enfant le droit à un niveau de vie suffisant tel qu’il est consacré pour toute personne par l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1976 [4].
Cette disposition est construite comme plusieurs autres articles de la Convention : elle consacre tout d’abord un droit de l’enfant, en l’occurrence à un niveau de vie suffisant, que les États reconnaissent, pour ensuite imposer à ceux-ci de prendre les mesures nécessaires à sa réalisation. En effet, iI ne s’agit pas seulement, comme pour toute personne, d’assurer le minimum pour vivre dans des conditions décentes mais également de permettre le développement physique, mental, spirituel, moral et social de l’enfant. Le Conseil d’État a affirmé que l’article 27-1 de la Convention fait partie des « stipulations, qui ne produisent pas d’effets directs à l’égard des particuliers », ce qui signifie qu’un enfant ne pourrait pas invoquer directement ce texte devant un juge et que l’article 27-1 n’impose d’obligations qu’aux États.
Cette analyse est cependant discutable dès lors que le texte formule un droit de l’enfant. Le dernier alinéa de l’article 27 fait des parents de l’enfant les premiers débiteurs de son droit à un niveau de vie suffisant, à travers l’obligation alimentaire, et impose aux États de mettre en place un système de recouvrement forcé des pensions alimentaires, y compris lorsque le débiteur réside dans un autre État, ce qui est le cas en France et en Europe [5].
Texte de compromis et texte pragmatique, la Cide en général, et l’article 27 en particulier, contiennent des réserves spécifiquement destinées aux pays dont le développement économique rendrait illusoire une obligation d’assurer un niveau de vie suffisant à tous les enfants. L’obligation pour les États parties d’adopter les mesures appropriées pour aider les parents à satisfaire ce droit de l’enfant tient compte des conditions nationales et des moyens des pays. Le texte précise que l’aide de l’État peut revêtir la forme d’une assistance matérielle et de programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, le vêtement et le logement, la santé faisant l’objet d’un article spécifique [6].
Parce qu’il constitue l’un des moyens essentiels d’assurer à l’enfant un niveau de vie suffisant, l’article 26 de la Cide qui consacre le droit de l’enfant à la sécurité sociale [7] doit être considéré comme le corollaire de l’article 27. Construit sur le même modèle que celui-ci, l’article 26 dispose dans son premier alinéa : « Les États parties reconnaissent à tout enfant le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales, et prennent les mesures nécessaires pour assurer la pleine réalisation de ce droit en conformité avec leur législation nationale ». Consacrant expressément le droit de l’enfant de bénéficier de la sécurité sociale, affirmé par d’autres textes internationaux et européens, ce texte, dont on peut penser qu’il pourrait être directement invoqué devant les juridictions nationales nonobstant l’avis contraire du Conseil d’État [8], enjoint également aux États de prendre les mesures nécessaires à la réalisation de ce droit.
La portée du droit de l’enfant à un niveau de vie suffisant
La portée du droit à un niveau de vie suffisant, notamment en ce qui concerne les obligations que ce droit fait peser sur les États parties à la Cide, peut être mesurée à travers les observations finales du Comité international des droits de l’enfant [9]. Ces observations contiennent le plus souvent une rubrique Niveau de vie / Protection sociale dans laquelle le comité évalue la mise en œuvre des articles 26 et 27 de la Cide. Le Comité a tenu à souligner à plusieurs reprises qu’un niveau de vie adéquat est essentiel pour le développement physique, psychologique, spirituel, moral et social de l’enfant et que la pauvreté des enfants influe aussi sur le taux de mortalité infantile, l’accès à la santé et à l’éducation des enfants, ainsi que sur leur qualité de vie [10].
En 2009 [11], le Comité a salué l’intention du gouvernement français de mettre fin à la pauvreté des enfants d’ici à 2020, notamment par l’allocation de ressources supplémentaires à la Caisse nationale des Allocations familiales (Cnaf). Le Comité reste cependant préoccupé par le nombre élevé d’enfants vivant dans la pauvreté. Il s’inquiète du taux de pauvreté sensiblement plus élevé chez les enfants issus de l’immigration et vivant dans les banlieues que dans le reste de la population. S’il reconnaît les efforts déployés par la France pour s’attaquer au phénomène des logements insalubres, il regrette le retard pris dans l’application du nouveau droit opposable au logement, ainsi que par l’insuffisance des crédits budgétaires alloués à sa mise en œuvre.
En 2004, le Comité avait recommandé à la France de ne pas subordonner le versement des allocations familiales aux modalités de l’entrée de l’enfant sur le territoire français. La Cour de cassation considère d’ailleurs, au visa des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme, que « le fait de subordonner à la production d’un justificatif le bénéfice des prestations familiales, porte une atteinte disproportionnée au principe de non-discrimination et au droit à la protection de la vie privée familiale » [12] et ce, malgré l’intervention d’une loi de 2006 [13] qui impose la preuve de l’entrée régulière des enfants dans le cadre de la procédure de regroupement familial pour pouvoir bénéficier des allocations familiales [14]. Une délibération de la Halde, du 29 septembre 2008, a considéré, comme la Cour de cassation, que le refus de verser des prestations sociales aux enfants étrangers qui ne peuvent justifier des conditions de leur entrée en France est discriminatoire, seule la régularité du séjour pouvant être exigée. La Défenseure des droits de l’enfant a également demandé, en se fondant sur la Cide, la modification de l’article 512-2.
La mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant ne saurait évidemment permettre, en elle-même, de garantir à tous les enfants des conditions de vie correctes. Il n’en reste pas moins que son application, sous la surveillance du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, permet de donner un fondement incontournable à la recherche de nouveaux moyens de lutte contre la pauvreté des enfants ainsi que contre les discriminations, de droit ou de fait, dont les enfants placés dans des conditions de vie difficiles sont susceptibles de faire l’objet.
Notes
- [1] Gouttenoire A., La Convention internationale des droits de l’enfant, vingt ans après, Commentaire article par article, Dr. famille 2009, Études 13 à 52. Texte intégral de la Convention des droits de l’enfant disponible sur: http://www.droitsenfant.com/cide.htm
- [2] Commentaire de la Cide article par article (voir note 1), Étude n° 16.
- [3] Commentaire de la Cide article par article (voir note 1), Étude n° 40.
- [4] L’article 11 de ce pacte dispose dans son premier alinéa : « Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence (…) ».
- [5] Gouttenoire A., Rep. Dalloz, V° Aliments.
- [6] Article 24 de la Cide.
- [7] Commentaire de la Cide article par article (voir note 1), Étude n° 39.
- [8] CE, 23 avril 1997, GISTI Req. n° 163043 ccl. Abraham, D. 98, p. 15 et s.
- [9] Le Comité des droits de l’enfant (CRC) est un organe composé d’experts indépendants qui surveille l’application de la Convention relative aux droits de l’enfant par les États parties. Il surveille aussi la mise en œuvre des deux Protocoles facultatifs à la Convention, l’un concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, l’autre la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la porno- graphie mettant en scène des enfants, disponible sur http://www2.ohchr.org/french/bodies/crc/
- [10] Committee on the Rights of the Child, Nations Unies, CRC/C/15/Add.188, § 45., 9 octobre 2002.
- [11] Ces observations sont disponibles sur le site des Nations unies: http://www2.ohchr.org/french/bodies/crc/index.htm
- [12] En dernier lieu : Soc. 16 décembre 2008, Pourvoi n° 05-40876.
- [13] Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2006, article 89 ; sur lequel voir Dr. famille 2006, comm. 45, note A. Devers.
- [14] Article 512-2, alinéa 2, nouveau, du Code de la Sécurité sociale.
Adeline Gouttenoire, dans Informations sociales 2010/4 (n° 160), pages 30 à 33
Mis en ligne sur Cairn.info le 11/10/2010